©Halfpoint – stock.adobe.com Ils ont découvert le bilan des trois ans de la Stratégie pauvreté le jour de sa présentation au conseil des ministres, le 13 octobre. Pourtant, à son lancement, la méthode était innovante : une co-construction avec les acteurs et les personnes concernées, un encrage territorial, une démarche d’évaluation. Que reste-t-il de la co-construction avec les acteurs de terrain ?
Stratégie pauvreté : le gouvernement tire un bilan en demi-teinte
A la Fédération des acteurs de la solidarité, on se demande si un événement autour de ce bilan était prévu. « Cela aurait été intéressant d’avoir un échange global avec le gouvernement sur les politiques de lutte contre pauvreté. On aurait pu partager ce bilan de la stratégie ensemble », regrette Alexis Goursolas, responsable du service Stratégie et analyse des politiques publiques à la FAS.
Que reste-t-il de la méthode ?
Le gouvernement a donc présenté son bilan sans en avertir ses partenaires associatifs. Qu’advient-il de l’encrage territorial, qui se traduisait notamment par la contractualisation avec les départements ? Frédéric Bierry, président de la Collectivité européenne d’Alsace et vice-président de l’Assemblée des départements de France en charge de la solidarité, de la santé et du travail, en est satisfait. Elle a rendu plus réguliers les échanges entre les services départementaux et ceux de l’Etat. « Plutôt que d’agir en tant que contrôleurs de leurs réalisations, les départements souhaiteraient pouvoir travailler sur un mode partenarial avec l’Etat », ajoute l’élu.
Le pilotage local à la peine
La lutte contre la pauvreté nécessite un véritable pilotage local. « La notion de commissaires régionaux était très intéressante. C’était un bon moyen de pouvoir regrouper localement tous les acteurs, y compris ceux auxquels on n’avait pas pensé », se souvient Bruno Morel, directeur général d’Emmaüs Solidarité.
Le succès de cette démarche n’est cependant pas visible dans le bilan. Christophe Devys, le président du collectif Alerte, se montre bien plus sévère : « Une dimension décevante provient de tout ce qui touche à l’animation territoriale. Malgré la qualité des commissaires régionaux, il n’y a pas grand-chose qui a changé dans la coordination locale. »
Quelques avancées
Les acteurs saluent les efforts réalisés en direction de l’enfance : les petits déjeuners à l’école, la cantine à un euro. Même si le nombre de places en crèche n’a pas cru à la hauteur des objectifs (8927 sur 30 000 de prévues), « l’intention est bonne », selon Bruno Morel. La prise en charge des jeunes majeurs de l’Aide sociale à l’enfance est également pointée comme une avancée. Ou bien l’ambition pour l’Insertion par l’activité économique.
Sur ce dernier point, Olivier Dupuis, secrétaire général de La fédération des entreprises d’insertion, souhaite apporter des nuances : « Sur la forme, je suis étonné du peu de place accordée à l’IAE dans le bilan. Elle n’est pas proportionnelle aux moyens financiers que le gouvernement met sur la table, environ 1,1 milliard d’euros en 2021. Sur le fonds, les moyens sont là, mais localement, la création de nouvelles entreprises d’insertion se heurte encore à la lenteur de l’administration. »
La regrettée absence du RUA
L’abandon du Revenu universel d’activité qui devait à la fois simplifier et harmoniser le système des minimas sociaux et permettre de lutter contre le non-recours, est une source de désenchantement. « C’est une vrai déception, d’autant que dans le domaine du social, les réformes ne sont pas légion », confie Frédéric Bierry. Les acteurs associatifs, eux, avaient espéré obtenir de cette grande réforme une revalorisation du RSA (et luttaient contre la position inébranlable du gouvernement sur le budget constant).
« Même si des minima sociaux comme l’Aspa et l’AAH, ou la prime d’activité, ont été revalorisés, il n’y a pas d’avancée majeure, structurante, monétaire, dans la lutte contre la pauvreté. La question des personnes privées d’emploi reste essentielle, a fortiori dans le contexte d’une réforme de l’assurance chômage défavorable aux travailleurs précaires », tranche Alexis Goursolas.
Toujours rien pour les jeunes
Lors de la concertation autour du RUA, la question de son ouverture aux jeunes avait été posée fermement par le secteur associatif. « Nous y étions très favorables », se souvient Daniel Verger, responsable du pôle Etudes, recherche et opinion au Secours Catholique. Par la suite, il a « apprécié » les débats autour de la Garantie jeunes universelle (GJU). « Cela semblait un bon compromis. Mais le revenu d’engagement annoncé par le président de la République, est une version minimaliste de la GJU, avec une forte contrainte des droits et devoirs, qui risque d’écarter du dispositif les plus précaires », déplore Daniel Verger.
Rien sur « l’effet boomerang » de la crise sanitaire
Bruno Morel regrette le peu de perspectives données dans le bilan. « Il n’a pas intégré tous les effets boomerang de la crise du Covid, dont les conséquences économiques sur les publics précaires à long terme sont très inquiétantes », relève-t-il.
Frédéric Bierry fait plus ou moins le même constat, en lui donnant une coloration financière : « Les crédits, bien qu’évolutifs, sont insuffisants et ne permettent pas de faire face aux nouveaux phénomènes de paupérisation d’une partie de la population française, conséquence inévitable de la crise sanitaire, sociale et économique ». Thèmes abordés Lutte contre la pauvreté Social